Dans un monde où l'art est directement influencé par le commerce et la politique,
l'artiste qui n'entre pas dans un cadre préétabli rencontre les plus grandes difficultés à diffuser son oeuvre.
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Les grosses maisons de production font pression sur les artistes, imposent leurs conditions et les transforment en simple produit de consommation, exigeant d'eux des performances commerciales à très court terme au détriment de tout critère qualitatif.
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Dans les quelques très rares pays où existe une politique publique dite de « Diffusion de la Culture », l'artiste se trouve de facto instrumentalisé par les politiques. Par ailleurs, le dédale administratif que représentent les demandes d'aides et de subventions a pour effet non pas de mettre en avant les artistes les plus talentueux, mais les plus aguerris dans le montage de dossier ou les mieux entourés.
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Internet est un monde en soi assez indépendant de tout cela. Si la politique et le commerce y jouent un rôle évident, elles ne le gouvernent pas. La philosophie de base d'Internet est le partage et l'échange, la libre diffusion des idées, des données, des pensées et des oeuvres et repose sur le désir implicite de faire bénéficier le plus grand nombre des richesses intellectuelles disponibles. De fait, Internet est devenu un nouveau patrimoine de l'humanité en évolution constante qui me fait imaginer un grand cerveau planétaire dont les neurones seraient les cerveaux de chaque personne qui se connecterait à lui.
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Je souhaite que ma musique - ce que je suis - fasse également partie de ce cerveau universel et qu'Internet puisse aider les artistes à communiquer et à créer des liens.
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Aujourd'hui l'homme dispose d'un nouveau moyen de communication, complet, accessible, instantané et sans frontières. Mon désir est qu'Internet permette peu à peu de changer certains concepts, que l'Art se libère progressivement des grandes structures de diffusion et puisse gagner en liberté.
Un peu d’Imagination :
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Un enregistrement est de même nature qu' une photographie ; il reproduit un instant donné, mais ne le restitue jamais dans sa totalité.
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La musique est un art éphémère. Lorsqu'elle est jouée, le compositeur, l'interprète et l'auditeur (ou bien : l'auditoire) forment un « triangle magique » qui, à peine né, disparaît aussitôt. Cet instant ne se reproduira jamais plus de la même façon. A chaque représentation, la musique renaît avec un caractère qui lui est propre, avec une touche et une sensibilité absolument unique. De son côté, l'auditeur ne sera jamais deux fois dans la même écoute, dans le même monde intérieur. Dès lors, pourquoi vouloir figer définitivement ce qui justement ne peut être saisi et qui constitue la valeur intrinsèque de la musique ?
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Avant l'invention des techniques d'enregistrement, ce « triangle magique » régissait tout rapport à la musique. L'enregistrement a ensuite transformé radicalement notre manière d'aborder l'univers musical, et ceci, pour le meilleur, mais aussi pour le pire. Pour le meilleur, car il a été le vecteur d'une diffusion de masse ouvrant à chacun l'accès au patrimoine musical de l'humanité et permettant à la musique de se libérer des contraintes de temps et de géographie. L'enregistrement a ainsi permis le développement de nouveaux genres musicaux tel que le Jazz et est devenu un puissant vecteur des échanges culturels et de la mondialisation. Pour le pire, car l'enregistrement a également banalisé la musique. A force de mettre de la musique n'importe où et en toute circonstance, on la réduit souvent à un simple accessoire décoratif. De fait, l'enregistrement est également devenu un énorme facteur de médiocrité.
Poussons les choses à l'extrême : imaginons que la musique enregistrée ne génère plus de droits et que tout le monde puisse l'utiliser de façon absolument libre et gratuite. Si la musique cessait ainsi d'être l'importante source de profit qu'elle est (encore) aujourd'hui, elle serait immédiatement délaissée par l'industrie musicale qui disparaîtrait aussitôt en tant que telle et le système de valeurs en cours s'en trouverait radicalement modifié :
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Les valeurs du diffuseur (radios, télévisions), qui ne subiraient plus les pressions des grands groupes et n'auraient plus d'intérêts commerciaux directs à diffuser telle ou telle musique plutôt qu'une autre.
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Les valeurs de l'auditeur qui se retrouverait dès lors face à une offre dont la dynamique ne serait plus commerciale, mais qualitative.
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Dans un tel contexte, on peut imaginer que la musique vivante reprenne progressivement sa vraie place, qui est d'être au coeur de la relation avec l'auditeur et non plus la simple courroie de transmission d'une stratégie marketing uniquement guidée par les perspectives de vente de CD ou autre support d'enregistrement. Libéré de cette constante influence commerciale, l'auditeur pourrait sans doute retrouver les vrais plaisirs de l'art musical et éprouver davantage le désir de faire partie de ce « triangle magique ». D'un côté, la libre consommation de musique - comme on peut déjà le constater aujourd'hui avec les échanges P2P - favoriserait d'autant la culture musicale de chacun et, de l'autre, l'argent ainsi épargné par les particuliers pourrait davantage s'investir dans l'achat de places de concert, remettant véritablement le spectacle vivant à l'honneur.
Quelques conclusions :
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J'ignore jusqu'à quel point Internet peut être contrôlé et manipulé ; je sais seulement qu'aujourd'hui, la sphère de liberté qu'il constitue pose un grave problème aux multinationales de la production discographique et je me réjouis qu'il en soit ainsi.
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Je suis donc partisan de ce que la musique enregistrée ne génère plus de droits et que le public apprenne à apprécier la différence entre musique vivante et musique "en boîte", convaincu que cette évolution se ferait au profit de la qualité de la relation entre l'artiste et l'auditeur.
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Je souhaite enfin, non seulement qu'une telle évolution soit possible, mais qu'elle permette de réduire les énormes écarts financiers qui existent aujourd'hui entre les purs produits de l'industrie musicale et les véritables artistes et créateurs trop souvent dépourvus de moyens.
Gerardo Di Giusto, le 21 mars 2000